Il semble exister une tendance profondément enracinée dans la pensée humaine qui consiste à chercher ce qui persiste à travers le changement. L'épanouissement naturel des choses peut continuer ou peut être contrecarré par des forces extérieures. Pendant que la nature existe en harmonie avec elle-même, nous nous retrouvons absorbés dans un questionnement perpétuel face à elle. Nous observons un nombre infini d'objets apparemment sans liens. Toutefois, ce chaos semble cacher une permanence, une unité perceptible.

Contrairement au vent, aux arbres, aux rochers et aux animaux, l'être humain est séparé de la nature par son intelligence, et cette séparation produit en lui un profond malaise. Nous nous trouvons vraiment dans une situation unique à l'intérieur de ce grand système. Notre existence sur terre crée un subtil déséquilibre qui amène homme et nature sur un terrain de compromis. L'intelligence humaine semble en-dehors du contexte naturel. D'elle jaillit une rationalité indépendante des cycles naturels. Nous voulons nommer, classifier, décortiquer afin de mieux comprendre, condition de notre survie. Pourtant la nature reste notre modèle. Malgré nos tentatives de maîtriser les situations et d'orienter les événements au moyen de la science, des rituels ou de la magie, malgré cette volonté innée qui nous sert de défense, nous sommes toujours dépassés par la complexité de la nature.

J'ai développé une vision subjective, une figuration abstraite si vous préférez, dont l'énergie est exprimée sur la toile au moyen de masses, de formes, de pressions et de couleurs. J'ai vu ces formes dans les lignes sinueuses d'un fleuve noir traversant une plaine enneigée, dans un rocher de granite découpant le ciel. J'ai constaté qu'il était possible d'explorer la métaphore peinte sans devoir aller vers des interprétations fantasmatiques, ni me retrouver à peindre un tableau noir.

À l'extérieur, je n'ai pas l'impression de faire partie de la pluie qui tombe. Je ne suis pas comme la feuille dans l'arbre. Si la nature m'inspire, c'est parce que je veux questionner mon existence. La civilisation a commencé avec le cycle des jours et des saisons. Notre logique, qui se fonde sur ce même caractère de prédicibilité en toutes choses, se voit cependant tempérée par la connaissance de nos limites. L'observation scientifique rigoureuse des divers phénomènes n'empêche pas nos conclusions de reposer sur des conjectures.

Notre existence en parallèle avec la nature est une des métaphores présentes dans mon travail. Ainsi, l'aspect du ciel indique le temps qu'il fait. Si l'eau est noire, on peut en conclure qu'elle est froide. Par ces observations, je compose des scènes.


La silhouette d'un volcan éclipsée par un nuage de cendres ou l'effet que produisent des cumulus poussés par le vent, tout cela se manifeste dans notre façon d'inventer ou de concevoir les choses simples ou complexes. Le barrage imite la chute d'eau, le motif est parallèle à la réalité. La nature se distingue autant de l'imitation qu'elle en est similaire. La cataracte cependant semble supérieure au barrage. Dans cette différence, je perçois l'homme. Voyez la taille que nous avons en comparaison de celle de l'univers. Aujourd'hui, nous nous imitons nous-mêmes. Les technologies informatiques reflètent ce que nous pensons connaître de l'intelligence humaine, ce qui est intéressant, voire troublant.

En tenant compte des nombreuses transformations qu'a subi l'image et ce que signifie l'absence de son et de mouvement d'un tableau, je crée des lieux faisant appel à la mémoire où le regardeur peut s'introduire.

Ce qu'un artiste sait est reflété dans son oeuvre. Je suis peintre à une époque où les images sont en surabondance. Je suis consciente de cette réalité et en même temps je laisse ce fait me traverser, moi, en tant qu'artiste.

Il y a une façon de faire un paysage qui donne l'impression d'être assis au sommet d'une île; on regarde tout autour et aucune terre n'est en vue, on ne voit que la courbe de l'horizon. C'est la seule chose qui nous indique que nous sommes sur une planète et c'est la seule chose qui compte pour un temps. C'est la figuration du silence, un peu comme lorsqu'on quitte un endroit achalandé pour retrouver la tranquillité. On ferme la porte derrière soi, et c'est le silence.

 

Lynn Millette                           

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